L’interview Chillax : Roule Petit Ougandais !
Sous la houlette du toulousain Jean-Claude Géraud (ancien du Polkov Skate Crew), l’association Roule Petit Ougandais a bien bourlingué.
Créée en 2012 pour fournir du matos et construire un skatepark à Mukono (capitale de l’Ouganda), Roule Petit Ougandais – aka RPO – peut se targuer d’avoir réussi atteindre ses objectifs, et bien plus encore. Avec un financement principalement basé sur la vente de boards customisées par des pontes du street art mondial (Supakitch, Hopare, Toncé, Der, Lenz, etc.), RPO s’est construit un nom solide au fil des années, que soit dans le milieu du skate, de l’art ou de l’action humanitaire. Les expos éphémères s’enchaînent et s’exportent, avec notamment Paris, Madrid et maintenant Zurich au palmarès. La sauce prend et 2018 s’annonce sous les meilleurs auspices : nouvelle contrée exotique (La Mongolie), nouvelles formules (festival de street art, écoles), nouveau nom et même nouveaux ambassadeurs de classe mondiale, comme un certain Sebo Walker, entre autres…
En dépit d’un calendrier de ministre, ce cher Jean-Claude a bien voulu répondre à nos questions, entre deux ventes aux enchères sur eBay. Voici donc un petit tour d’horizon du passé, présent et surtout futur d’une aventure solidaire en plein renouveau.
L’interview Chillax : Roule Petit Ougandais !
Chillax : Alors cette virée au pays des banquiers, c’était comment ?
Jean-Claude Géraud : La vente s’est super bien passée. On avait un total de 59 planches exposées à la Kolly Gallery en Suisse, à Zurich. On a tout vendu, ce qui nous a permis de récolter 28 660 euros. En comparaison il y’a deux ans, à Paris, on avait récolté au peu près la même somme mais en vendant deux fois plus de boards. On a choisi Zurich en raison du galeriste qui a pris contact directement avec moi pour nous proposer ses services. Notre projet lui ayant bien plu, et il a eu envie d’y contribuer. Le courant est plutôt bien passé et on s’est même rendu compte qu’on avait un pote en commun, à savoir l’artiste toulousain Tilt, qui expose des œuvres dans cette galerie. Le public sur place était surtout composé de collectionneurs, dont certains nous suivent depuis quelques temps, ce qui fait super plaisir à voir !
Extrait des planches mises en vente à Zurich :
Du coup tu penses déjà à la prochaine étape ?
Carrément. Maintenant on va enchaîner sur de nouvelles levées de fond, avec une prochaine date en janvier à Toulouse. On va collaborer avec le gars qui s’occupe de l’association Le MUR à Paris et qui collectionne déjà quelques-unes de nos planches. Du coup on va organiser une expo en commun, avec des œuvres classiques de street art et également des skateboards customisés par des artistes toulousains et dont la vente servira à soutenir nos projets.
Comment te débrouilles-tu pour attirer dans tes filets autant d’artistes ?
Ça vient d’abord des connections avec mon autre projet, City Of Talent. Grace à ça j’arrive à contacter par mal d’artistes, qui me présentent à d’autres artistes et ainsi de suite. Ensuite l’aspect humanitaire du projet plaît assez aux gens. Ça les touche qu’on essaye d’aider des personnes pauvres dans différents endroits du monde. D’autant plus que maintenant, à chaque fois qu’on va participer à la création de skatepark, on va aussi essayer de constituer des programmes éducatifs à l’attention des kids. Du coup on se retrouve avec des artistes aux quatre coins du monde à qui on envoie des planches pour qui les customisent.
Alors comme ça vous partez à l’assaut de l’Asie centrale ?
Ouais, en Mongolie surtout. On est déjà en contact avec une association sur place. Le projet de base consiste à collaborer avec eux pour construire un skatepark à Oulan-Bator (la capitale). J’avoue avoir été inspiré par le trip Carhartt en 2004, « From Dirt To Dust », où les mecs étaient partis rider les spots en Mongolie. Ce pays m’attire aussi beaucoup, que ce soit par sa culture ou l’immensité de ses steppes. En fait je trouve ça encore plus cool d’aller créer des projets dans des endroits super insolites ! Du coup je me suis mis en contact avec les photographes du projet Carhartt qui m’ont confirmé le manque cruel d’infrastructures sur place, en dépit de la grosse motivation des locaux. On a commencé à collaborer avec l’association locale Uukhai, ce qui facilite pas mal les choses, surtout d’un point de vue légal.
C’est quoi le plan à termes pour Roule Petit Ougandais ? Devenir une grosse ONG internationale ?
On ne va pas se le cacher, si Roule Petit Ougandais doit devenir une ONG, ça ne me gênera pas. L’essentiel pour moi c’est de continuer à contrôler la chose et de me rendre disponible pour les gens qui en ont besoin. C’est vrai que l’appellation ONG est vite associée à une grosse organisation où on a plus forcément le temps d’aller sur le terrain et qui t’obliges à pas mal déléguer. Après si tu deviens une ONG c’est aussi la preuve que tu as réussi à toucher énormément de personnes et que le projet se porte bien, un peu comme Skateistan. Mon objectif est d’aider des gens motivés partout dans le monde à avoir un skatepark ou de construire des écoles dans des lieux dépourvus d’infrastructures.
Il s’est passé avec le park de Mukono ? Vous voulez former une équipe ougandaise pour les JO ou quoi ?!
Alors dans un premier temps, on a voulu laisser les skaters sur place se créer leur propre truc. Du coup on a envoyé les sous à mon contact là-bas, un français ingénieur en construction, pour qu’il organise la construction du skatepark avec les locaux et qu’ils aient un truc qui les fasse rêver. Sauf que, n’ayant aucune expérience dans la construction d’un park, le premier truc qu’ils ont bâti été super raide, sans jonctions en bas des courbes. Et à force de passer dessus, le bordel a fini par se fissurer de partout… j’ai donc reçu des mails pour me dire que le sol se craqueler et qu’il fallait faire quelque chose avant que quelqu’un ne se blesse vraiment. Du coup on a payé une entreprise sur place capable de fournir des matériaux adaptés pour reconstruire le skatepark, en l’améliorant au passage. Ils ont dû casser le premier jet pour en bâtir un nouveau sur des bases plus saines.
Après il faut savoir que les gars là-bas ont une vision super « Xtreme » du skate et ils voulaient faire des méga modules. Je me souviens quand j’y étais allé, les mecs ils étaient à fond des X-Games et des JO. J’avais beau leur expliquer que la compétition, dans le skate, s’était pas l’essentiel, ils restaient super branché compét’ et performance. D’où ce skatepark avec des morceaux super RAD. Par contre ce qui est véridique dans le skate, c’est que comme les mecs ils n’ont que ça, ils le skatent à fond ! Tu vois des kids qui s’y sont habitués et qui commencent à bien tâter les gros modules. Je me dis que si un jour ils vont aux JO, ça va leur paraître facile ! Ça serait drôle de voir une délégation ougandaise dans quelques années (rires).
Ils sont comment les kids ougandais ?
Les kids sont vraiment à fond : ils se réunissent en groupe pour mater des vidéos sur internet ou bien dévorer les magazines ou les DVD de skate qu’on leur envoie. Ce qui est marrant c’est qu’ils essayent ensuite de reproduire les trucs. Je me souviens d’une fois où on leur avait envoyé un exemplaire de Thrasher avec, en couv’, un mec en train de rider le coping enflammé d’un bowl. Et bien deux semaines après, je recevais une photo d’un type en train de faire un gros grab par-dessus un coping on-fire !
L’Afrique n’est plus vraiment une priorité pour Roule Petit Ougandais, si ?
Pour l’instant, on continue à envoyer du matos tout en suivant l’évolution des choses en Ouganda et en essayant de répondre le plus possible à leurs besoins de développement. Après j’ai des contacts avec des personnes en Ethiopie ou au Sénégal et qui aimeraient appliquer le même modèle chez eux. Notre aventure en Afrique reste donc ouverte. Mais c’est vrai que de nouveaux continents s’ouvrent à nous : l’Amérique du Sud, genre au Pérou, en Equateur, ou même dans un endroit hyper reculé comme Ushuaia ou la Patagonie. J’aimerais même aller au pôle Nord, t’imagines un skatepark complétement inattendu chez les Inuits ! Tellement de gens ne connaissent pas du tout le skateboard… Au début en Ouganda quand on faisait du skate, les gens hallucinaient, ils pensaient que j’étais un sorcier ou un truc dans le style ! Le but ultime s’est d’atteindre le plus de personnes possible dans le monde entier, tout en y intégrant une fibre durable, à travers l’éducation mais aussi l’écologie. A l’origine, l’intégration du skateboard m’était venue naturellement vu que ça a toujours été ma passion, mais maintenant je pense qu’il est temps d’amorcer un virage et pousser cette initiative vers l’éducation histoire d’améliorer le bien-être du plus grand nombre et aussi celui de la planète.
Plus que jamais, Roule Petit Ougandais garde le cap fixé 5 années auparavant. L’essence du projet reste la même, mais les horizons s’élargissent, ce qui a pour conséquence forcée d’accroître les besoins. Car pour toucher le plus de monde possible dans un maximum de contrées reculées, il va falloir en lever des fonds et du matos ! La question des bénévoles va aussi de plus en plus se poser, ce qui laisse présager des appels à la mobilisation, que l’on ne manquera pas de relayer. Comme le martèlent toutes les assos humanitaires du monde, il n’y a pas de petites contributions mais que des gens généreux souhaitant apporter leur pierre à l’édifice. Si c’est votre cas et que vous êtes skaters et fauchés (n’allant pas forcément de paire!), vous pouvez commencer par collecter du matos seconde main autour de vous, histoire que vos vieilles boards et vos vieilles roues ne prennent pas la poussière pour rien. Ensuite, vous pouvez donner quelques sous (glaner au détour de vos biz sur Le Vrai Bon Coin du Skateboard), si vous vous sentez l’âme généreuse. Enfin, il y a les ventes aux enchères, bien que souvent assez onéreuses. Elles restent le meilleur moyen de mêler l’utile au très agréable, avec l’acquisition d’une board customisée et unique issue du street art contemporain !
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Rédacteur en chef